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qui couvent depuis longtemps une colère, Reine répondit sans se déranger et d’une voix brève aux politesses du nouveau venu. Pendant quelques minutes elle se contint assez pour lui laisser débiter, sans l’interrompre, toutes les excuses justificatives de sa longue absence. Il avait été forcé de donner à dîner à un ami ; cet ami, ancien camarade d’étude, revoyait la France après quinze ans de voyage ; on ne congédie pas de tels amis au dessert.

— Reculez votre chaise !

— Allons ! tu te fâches maintenant ?

— Moi, me fâcher ! Vous vous trompez ! Cela fait venir des rides. J’ai dîné sans vous, voilà tout.

— Tu as bien fait, Reine ; je suis content que tu ne m’aies pas attendu. Moi, j’ai fort mal dîné, je te dirai.

— Vous avez peut-être mangé au Palais-Royal, à quarante-sous ?

— Tout près du Palais-Royal, répondit Ervasy, qui croyait que Reine, déjà apaisée, entrait dans la voie conciliante de la conversation.

— Vous avez eu trois plats au choix et le dessert ?

— Oui, trois plats et le dessert.

— Des asperges et des haricots verts ?

— Tu l’as deviné. Oui, nous avons mangé des asperges. Comme tu sais cela !

— C’est connu ; au Palais-Royal, on vous sert, dans un dîner à quarante sous, des asperges, qui au mois où nous sommes, reviennent à vingt francs la botte, chez Chevet,

J’étais sûre que vous m’apporteriez ici quelque beau mensonge ; mais je n’en suis pas étonnée, après ce que j’ai appris sur votre compte.