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Ervasy pouvait marcher en tête de ces espèces d’hommes privilégiés qui, frais et un peu Saint-Jean-Baptiste dans leur jeunesse, à cause de leur grâce sphérique et de leur teinte rosée, deviennent, en avançant dans la vie, plus ronds de forme, peut-être, mais infiniment mieux qu’ils n’ont jamais été. La gravité des années leur prête un charme, parfaitement accepté de toutes les femmes, même des plus difficiles. Ce sont de beaux soleils couchants, et des soleils couchants du pôle où les astres se couchent sans s’être jamais levés.

Quoique l’âge marquât une notable différence entre Ervasy et sa femme, celle-ci tendait, par sa constitution généreuse, à la même maturité distinguée. Elle devait même y parvenir avec plus d’avantages n’étant point tourmentée par le dégoût de toutes choses tombé en partage à son mari. Cependant elle s’affecta beaucoup de l’affaissement qu’elle avait remarqué en lui depuis deux ou trois ans. Elle ne manqua pas de s’apercevoir de la sortie d’Ervasy le soir que se donnait sa fête, et malgré les soins apportés par elle aux minutieux détails de la représentation de la fameuse comédie en trois actes et en vers. Où va-t-il, pensa-t-elle tristement en encourageant ses acteurs qui entraient en scène.

Oh ! mon Dieu, s’écria-t-elle, Ervasy est attaqué du foie, Il a le spleen.

En entrant dans la chambre de Reine Linon, Ervasy devina à certain avertissement magnétique, dont l’impression ne trompe jamais, la disposition peu bienveillante de l’endroit. Le front abaissé sur un ouvrage de broderie auquel elle travaillait avec l’affectation particulière aux femmes