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II.

Quand l’homme s’est ôté le souci de devenir riche et celui de l’ambition, s’il ne prend pas un vice à la gorge il est perdu. Il vaudrait mieux sans doute qu’il tournât ses pensées vers les célestes sphères de la religion, et à défaut du sentiment pieux, le meilleur de tous pour remplir l’âme où il s’est fait du vide, qu’il s’inclinât sur l’étude. Mais la grâce n’avait pas encore voulu visiter Ervasy. Son teint jaunit, son front se dégarnit au sommet, et çà et là sur sa tête les camélias de cimetière commencèrent à fleurir ; et il possédait plus de quarante millions ! Ennui en barre !

Sa femme et lui étaient d’une beauté remarquable, mais de cette beauté que j’appellerais volontiers la beauté des riches. L’embonpoint est le cadre qui doit faire ressortir ou écraser cette beauté : c’est perte ou gain. Les hommes ont moins à craindre de l’alternative. L’ombre et quoiqu’on en dise le repos qu’ont les gens riches dorent ces chairs opulentes, pétries par Chevet. Ervasy aurait été remarqué malgré ses quarante-cinq ans si sa langueur n’avait assombri son regard noir et doux, courbé sur ses épaules, parfaitement prises sa tête chargée d’ennuis et de découragements. Il avait les mains fort belles et rien ne lui seyait comme la toilette du matin, des petites bottes fines, un pantalon gris collant, un habit large de basques, précurseur indécis de ces habits auxquels Humann, cet artiste de génie, a donné son nom et qu’ils portent comme les étoiles portent le nom de ceux qui les ont découvertes.