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pecta tout le long du voyage le mystère de la conspiration ; elle avait compris que le bonheur de son mari tenait à ce qu’il se crût toujours le premier à lui faire connaître un plaisir nouveau. Elle voulait lui laisser une illusion qui, après avoir flatté son orgueil de mari, avait fini, elle s’en était convaincue, par être nécessaire à sa santé. Il y a mille douces virginités à demander au cœur de la femme, de cette Galatée mystérieuse : les imbéciles seuls croient se faire une part plus complète en réduisant ce nombre à une brutale unité.

Madame Ervasy parut charmée, on peut l’être deux fois sans hypocrisie, du pays qu’elle parcourut depuis les frontières de la France jusqu’à Vienne. Chaque verte prairie qui se peignait dans ses grands yeux, chaque arbre du chemin étaient pris en seconde épreuve par son mari, qui se contentait d’avoir la lithographie d’un bonheur dont sa femme avait la réelle peinture. Il voyagea pour ainsi dire dans les yeux de sa femme. Ils arrivent à Vienne. En mettant le pied sur le perron de l’hôtel des Pages, un malheureux cicérone, un courtier, d’hôtel dit à madame Ervasy : Est-ce que madame n’aurait pas été contente pendant son dernier séjour à Vienne de l’hôtel des Princes, qu’elle descend aujourd’hui à l’hôtel des Pages ? L’épée entra jusqu’à la garde dans la poitrine d’Ervasy. Sa femme avait habité Vienne ! elle connaissait Vienne ! Il fut pris d’une tristesse profonde qui tourna subitement en langueur. Nous quitterons Vienne dans trois jours, dit-il ; la température de l’Allemagne est trop froide pour moi. Partons, répondit madame Ervasy, qui ne savait que trop la cause véritable de la maladie de son mari.