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Reine Linon commit à son insu le même mensonge. Quand elle n’espéra plus en regardant la rue, elle espéra en regardant le ciel ; et véritablement, elle n’avait rien gagné à ce changement. Au lieu de dîner, elle compta les étoiles dont la lueur était assez vive ce soir-là pour éclairer son petit intérieur d’une propreté exquise, d’une ravissante élégance d’imitation. À force de voir les appartements somptueux de la place Beauveau, de la rue Marigny et de son faubourg, Reine avait appris à composer un mobilier fort curieux pour une grisette. Évidemment les femmes de chambre de quelques-unes de ses riches pratiques lui avaient donné, celle-ci l’écran fané de sa cheminée, celle-là l’édredon posé au pied de son lit, moins comme une nécessité de la saison que comme un objet de luxe. À des générosités de ce genre elle devait sans doute le rideau rouge de l’encoignure où elle entassait son linge et les deux fauteuils en tapisserie qui prenaient une place despotique dans la pièce. Ce qui était bien à elle, c’était le parapluie caché dans un fourreau gris, fixé par deux courroies au dessus de la cheminée, car le parapluie est le premier cadeau que se fait une grisette avec l’argent de ses premières économies. Le sauvage rêve lance et fusil jusqu’à ce qu’il ait l’une ou l’autre accroché aux murs de sa hutte ; l’Arabe, amoureux de l’espace, désire un cheval ; le cheval, le fusil, la lance de la grisette, c’est le parapluie. La table où Reine amoncelait des piles neigeuses de chemises et de mouchoirs de batiste supportait maintenant une pendule ; et ceci faisait trembler pour la révolution survenue dans la moralité de la locataire. La vue d’une pendule en ce lieu, et d’une pendule à sujet mythologique, vous agitait comme