Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’autre d’un fragment assez notable de ce long serpent de rue qu’on nomme d’abord rue Saint-Honoré, qui devient ensuite faubourg Saint-Honoré, et puis infini Saint-Honoré. Elle faisait depuis une heure le métier que j’ai essayé de caractériser en montrant quelques types qui s’y rattachent et dessinés dans l’exercice de leurs fonctions ; elle n’attendait pas à la porte, mais à la fenêtre : autre supplice. Rien n’échappait à son regard jeté comme un filet dans l’ampleur, duquel elle ramassait tout, afin de voir si au fond, au coin, quelque part ne se trouvait pas dans les mailles celui qu’elle attendait ; car attendre c’est pêcher sans eau. La nuit venait pourtant ; les lanternes papillonnaient déjà de place en place aux angles des rues, à l’encoignure plus sombre des hôtels. Dans les rues, l’embarras augmentait ; ce qui roulait dans le filet devenait beaucoup moins distinct. De dépit, Reine dépouillait le pied d’oranger, ornement de sa croisée ; elle en mâchait les feuilles, les jetait sur la foule qu’elle aurait voulu écraser avec ces feuilles si cela avait pu attirer plus vite la personne attendue. Nous sommes tous des Tibères. Ce n’est pas la bonne volonté qui manque. Enfin la nuit s’épaissit, et avec l’instinct plutôt qu’avec les yeux, elle continua à fouiller au fond de ce puits où roulaient des voitures, des chiens aboyants, des flots de boue, et des flots de lumière, des hommes à pied, à cheval, et un grand nombre de femmes. Il était sept heures. Allons ! il ne viendra pas s’écria Reine en quittant la croisée de sa mansarde. N’espérons plus pour ce soir.

On sait combien l’âme doit peu compter sur elle-même, dès qu’elle prend la résolution de ne plus espérer. Celle de