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vrai qu’il l’envoie à tant d’autres qui ne le lui demandent pas.

Quand la petite fille fut grande, c’est-à-dire un peu plus haute qu’une plante de chènevis, On lui mit un bonnet sur la tête, des sabots aux pieds, six bouquets de violettes à la main ; on oublia peut-être les bas, et on lui dit : Fais trois lieues chaque matin, et va à Paris offrir des violettes à des gens crottés, ennuyés, maussades, tristes, qui vont et viennent. Quel heureux commerce que la vente des violettes à Paris !

Et ses parents devenaient vieux, pourtant ; ils n’y voyaient plus, ils marchaient mal. C’était à la petite fille à y voir et à marcher pour eux ; elle se résigna. Avec cela, jolie comme l’été, blonde comme sa patronne de Nanterre, qui menait en filant ses brebis à l’abreuvoir. À peine rapportait-elle six sous à Nanterre. Six sous ! après avoir fait six lieues ! et l’hiver ! M. Rotschild gagne quelquefois cent mille francs par jour. Voilà, j’espère, de quoi acheter des violettes ! M. Rotschild n’aime peut-être que les tulipes.

Or, ce jour-là, on était en avril de l’année dernière ; le père de la paysanne de Nanterre était malade au lit, sa mère malade sur sa chaise. La petite fille n’en vint pas moins à Paris. Quels chemins ! des océans de boue, des torrents de neige, un exécrable soleil visible d’heure en heure, un soleil parisien, un soleil en plaqué.

La voilà à sa place, à l’entrée du pont de la Chambre des Députés, par où passent tant de voitures armoriées et tant de millions à quatre chevaux ; elle avait six bouquets de violettes à la main ! délicieuse créature ! Elle les offrait, après en avoir secoué la neige, à tous ceux qui passaient, et personne n’en voulait. Personne !