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soldats depuis la prise du fort de l’Empereur jusqu’à la prise de Constantine. Mais avant d’avoir de la gloire, faites que le pain ne coûte qu’un sou la livre, qu’on ne paie pas cinquante francs de droit d’entrée sur une barrique de vin qui en vaut quinze, et qu’on ne nous vende pas au prix de quatre sous un cigare infumable. — Ce dernier mot n’est pas français.

Le maroquinier de Mascara obtint la faveur de venir en France, cette généreuse France, ouverte à tous ceux qui veulent y mourir de faim, soit dans le commerce, soit dans les arts, soit dans la littérature ; dans la littérature préférablement.

Dans cette belle France, donc, l’Oriental éprouva d’abord un froid horrible sous ses vêtements légers ; le malheureux avait choisi Paris pour résidence. Il parla, personne ne le comprit ; il pleura, on le comprit encore moins. Il passa des journées entières au coin de la place de la Bourse, qu’il prenait, dans sa naïveté, pour une mosquée catholique. De là, il concluait que les gens qui s’y rendaient ne pouvaient manquer d’être charitables ; car la charité, a dit Mahomet, est une rosée sainte, elle coûte peu à répandre et fertilise beaucoup. Pour toute rosée l’Oriental reçut celle du ciel de Paris ; aucun agent de change ne lui mit deux sous dans la main. Les chameaux endurent la faim plus longtemps que nous, se dit le tanneur de Mascara, serrons-nous la ceinture. Il se serra la ceinture, pensa à sa femme, qu’on appelait Lune, et à sa petite fille qu’on nommait Petite-Framboise. Mais il vient un moment où il faut, ou manger, ou mourir, ou voler, sainte trinité de la civilisation moderne. Assis sur lui-