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Sa réputation était établie et sa fortune faite, quand les Français démantelèrent Mascara et la brûlèrent. Le tanneur de Mascara fut ruiné ; on incendia ses ateliers, on fit des selles de ses plus beaux cuirs, sa femme mourut d’un coup de baïonnette, sa fille périt dans l’incendie de la maison ; et sa femme s’appelait Lune ! et sa fille Petite-Framboise ! en arabe l’appellation est divine. C’est perdre deux fois un enfant que de voir mourir une fille qui a pour nom Petite-Framboise.

Le pauvre tanneur souffrit beaucoup. Pour le dédommager on lui donna la qualité de citoyen français, on l’incorpora dans une espèce de garde nationale, et avec les ruines de sa maison on bâtit un café où l’on vendit de la bière à l’instar de Paris, et où l’on joua la poule. Il alla à Alger réclamer auprès d’un de ces rois improvisés qu’on confectionne dans les bureaux du ministère de la guerre. M. le gouverneur prétendit qu’il n’avait aucun pouvoir pour empêcher les vaincus de mourir de faim. Et l’on parle des barbares ! on se croit civilisé ! Mais qu’était Timour-Lenk, qu’était Gengis-Khan ? Des hommes qui prenaient des villes, des royaumes, démembraient des populations, bouleversaient les mœurs. Et qu’êtes-vous, je vous le demande ? Que faites-vous ? Parce que vous volez des villes à coups de canon, vous croyez être plus honnêtes que ceux qui les prenaient à coups de flèches ? Plaisante justification. Mais les Algériens étaient des voleurs. Soit : vous avez volé des voleurs. Belle morale ! Mais la gloire ? Encore le classique qui revient sur l’eau. Qu’est-ce que la gloire ? Une grande chose, sans doute, au point de vue du vieux monde, et quand on songe au prodigieux courage dépensé par nos