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il est situé entre les Tuileries et les Champs-Éysées, la Seine et les boulevards. C’est, je crois, la place Louis XV, de la Concorde, de la Révolution ou de l’Obélisque. Choisissez. Quand je serai ministre de l’Intérieur, j’arrêterai la dénomination.

Cette place a plusieurs issues ; à celle qui est formée par le pont de la chambre des députés, étaient un jour de l’hiver dernier qui a été rude, — les pauvres s’en souviennent, — un Oriental qui vendait des dattes, et une petite paysanne qui offrait des violettes d’avril aux passants. On était au milieu d’avril, époque folle : il pleut sur le soleil, il vente sur la neige, il fait froid sur le tout. Il paraît qu’il pousse des violettes dans cette saison si peu floréale. Où ? je n’en sais rien. Regardez la campagne, un tapis de neige à tous les horizons ; quand cette neige se congèle, c’est un miroir de deux cents lieues ; quand elle fond, c’est une mer, moins la navigation. Peu importe : demandez des violettes, des roses, des groseilles, des fraises, des petits pois, des fèves, des abricots, et vous aurez sur-le-champ les fleurs et les légumes désirés. D’où vient cela ? impénétrable mystère. Quand on songe qu’il y a plus d’ananas à Paris qu’à la Martinique !

L’Oriental était vieux : il était natif de Mascara dans le royaume d’Alger ; il y avait un établissement de tannerie ; il fabriquait ces cuirs rouges et bronzés dont se servent les fourbisseurs pour faire les gaines de poignards et les fourreaux de sabre. On estime beaucoup ce genre d’industrie dans l’Orient ; il exige du goût et de l’adresse ; on a de la considération pour ceux qui y excellent ; notre marchand de dattes l’exerçait avec une rare supériorité.