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salissant leurs jolis doigts de huit ans pour lustrer les bottes d’un cocher ; ou d’autres, plus malheureux encore, traçant un chemin dans la boue à d’honnêtes gens qui leur lançaient au visage, pour payement, la boue qu’ils avaient écartée.

Un jour, par une distraction du cocher, le landau blanc se trouva sur le point d’être pris entre deux diligences ; il allait être rudement secoué, sinon renversé par terre. Au moment où, perdant le sang-froid nécessaire et abandonnant les guides, le cocher du landau se levait sur son siège, je m’élançai au-devant des chevaux, et les ramenai sans effort au bord de la contre-allée. Les diligences passèrent ; aucun accident ne s’en était suivi. Je n’eus que la main droite foulée et le collet de mon habit sali par l’écume des chevaux. Comme je me retirais, l’enfant m’appela, et se jeta dans les bras de son chapelain, qui me la tendit. Elle me dit en m’offrant son bouquet de roses du Bengale : — Merci, monsieur, merci.

Je l’embrassai.

Encouragé par la figure honnête du docteur, je lui demandai, sans réfléchir sur ce qu’avait peut-être d’indiscret ma question : — Docteur, qu’a donc cette charmante enfant ?

— Ce que j’ai ? me répondit l’enfant elle-même en posant sa main sur ma tête et en me regardant avec un sourire qui n’était pas de, ce monde, et dont le souvenir restera éternellement dans mon cœur. — Ce que j’ai ! — Je mourrai dans un an.

Au même instant, le chapelain et la gouvernante poussèrent un cri, les deux laquais exhalèrent un gémisse-