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pour avoir l’occasion de réunir des hommes dont il caressait le suffrage dans la prévision d’une prochaine crise électorale. Elle expiait un avantage dont elle ne s’était jamais montrée fort jalouse par d’éternelles discussions sur la conversion de la rente et l’abaissement du cens. Chez elle point d’indépendance. De recommandations en recommandations graduellement moins détournées, Fleuriot avait enfin ouvertement exigé qu’elle rompît avec ses intimités de pensionnat et surtout de quartier, oubliant qu’il ne faut jamais ôter à une femme ses habitudes sans se charger de remplir aussitôt par une amabilité presque impossible le vide profond qu’on a creusé autour de sa vie. Sa femme avait obéi, mais elle périssait d’ennui. Elle ne devait jamais descendre au magasin, jamais se mettre au balcon, jamais sortir à pied ; et comme elle avait, malgré une éducation assez distinguée, conservé des familiarités de langage innées au commerce, son mari l’avait engagée à participer le moins possible aux conversations qui avaient lieu à ses grands dîners du jeudi. Qu’on juge du bonheur d’une jeune femme ainsi emprisonnée dans les convenances. Malgré son désir de se plaindre à sa mère, elle avait toujours eu le bon sens de comprimer ses chagrins et de pleurer en secret. Elle ne trouvait que dans Fournisseaux un écho à sa douleur. C’est Fournisseaux qui lui donnait en secret des nouvelles de ses amies : chaque soir, , quand Fleuriot était à ses réunions politiques, le fidèle commis racontait à la fille de M. Richomme les nouvelles du quartier. Celle-ci allait se marier avec un marchand de quincaillerie ; celle-là lui brodait des pantoufles qu’elle lui enverrait pour sa fête. Et elle était heureuse