Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Et rien de plus ! répéta Fournisseaux, superbe de l’énergie qui revenait au cœur de son maître.

— Ma fille doit suivre ses goûts, puisqu’ils sont irréprochables, et, certes, fort peu coûteux, quand son mari suit les siens. Ma Lucette s’ennuie ; ma Lucette est donc malheureuse. Je ne veux pas cela !

— Nous ne voulons pas cela, redit Fournisseaux.

— Je te remercie, Fournisseaux, d’avoir eu le courage de me mettre au courant des fâcheux changements survenus dans ma maison depuis mon successeur. Oui, je t’en remercie. Ta peine ne sera pas perdue, crois-moi ; mais dis-moi maintenant pourquoi Fleuriot a voulu te renvoyer.

— La semaine dernière c’était Pâques ; j’avais mis votre pantalon bleu, si fin et si lustré, qui me va comme à un prince du sang ; si bien que je me prenais pour vous ; vous vous seriez trompé vous-même. J’avais aussi le dernier gilet que vous me jetâtes un jour au visage avec tant de bonté, en me disant : Trouve ta vie là-dedans, Fournisseaux ! Et, outre ces deux ornements, j’avais ma cravate rouge sang de bœuf et mon habit de fête ; enfin j’étais beau, j’étais complet. Après vêpres, je rentre à la maison et, sans me déshabiller, j’aide les domestiques à mettre le couvert dans le grand salon. Quand tout est prêt, on va avertir votre gendre et sa femme que le dîner est servi. Pourquoi ce couvert de plus, ce troisième couvert ? demande M. Fleuriot ; nous n’avons invité, nous n’attendons personne aujourd’hui.

L’invité, c’est moi, je réponds en tremblant.