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— Nous n’avons plus de commerce, à proprement parler. M. Fleuriot ne va jamais à la Bourse, et il n’a pas le temps de recevoir les courtiers. Sans le détail, nous n’aurions aucun prétexte d’ouvrir chaque jour les portes du magasin.

— Et ma fille ? demanda Richomme qui ne laissait pas voir la moitié de la douleur dont il était affecté.

— Celle-là ne dément pas votre sang, monsieur Richomme. Docile à son mari, elle se pare comme une déesse ; quand il l’exige, elle monte en voiture pour aller au spectacle ; dès qu’il le désire, elle reçoit sans bouder des personnes qu’elle n’aurait guère voulu connaître ; mais au fond, voyez-vous, monsieur Richomme, votre fille a plus d’un ennui. Il est évident que son mari lui a ordonné de ne plus voir ses amies, parce qu’elles n’étaient pas assez huppées pour venir dans nos beaux salons, pour marcher sur nos tapis et s’asseoir à notre table.

— Pauvre Lucette ! dit M. Richomme. C’est pourtant un droguiste que je croyais te donner pour mari. Chère enfant, elle n’a rien écrit de ses chagrins ni à sa mère ni à moi. Encore si nous étions là pour l’encourager, pour lui rendre plus faciles ces changements d’habitude, et enfin pour apprendre à ce M. Fleuriot, dit M. Richomme en élevant la voix, qu’on ne rend pas une femme victime des ennuis de l’orgueil d’un mari. Sa femme n’est que la fille d’un droguiste de la rue Saint-Merri. Quand sa mère et moi l’avons élevée dans notre simplicité, ce n’était pas pour qu’un Fleuriot lui mît tant de tapis sous les pieds et tant de panaches sur la tête ; c’était pour qu’il la rendit heureuse et rien de plus.