Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ainsi dire, tout l’individu. Troussier, non pas en homme d’esprit, il était trop bel homme pour avoir de l’esprit, mais en garçon de sens, avait deviné dès le premier jour tout le danger de sa position auprès d’un curé trop petit et trop chétif pour n’être pas l’ennemi d’une haute taille et d’un beau visage ; car l’Église a des mouvements d’orgueil dont les femmes seules connaissent les analogies. Quelle puissance a le beau prêtre en chaire quand il parle, à l’autel quand il prie, à la procession lorsqu’il marche ! avantages interdits à M. de La Gâtinière, et permis à Troussier, si Troussier y avait aspiré. Mais Troussier s’en gardait comme du feu, sachant que M. de La Gâtinière était bien en cour, et pouvait, d’un mot, le réduire au néant ou l’élever bien haut. Pour s’effacer, au contraire, Troussier marchait très-courbé ; il disait avoir la vue mauvaise, se tenait mal en chaire, portait toujours du linge douteux, précautions qui n’empêchaient pas les paroissiennes de dire que M. Troussier ferait un beau morceau d’archevêque ; et l’éloge comprend tant d’éloges !

Elles veulent me perdre, murmurait alors Troussier, qui n’avait jamais consenti à être le confesseur des jeunes femmes.

Dans tous les livres qu’il avait lus, M. Richomme, et ceci l’inquiétait malgré lui, n’avait jamais trouvé de curé aussi jeune que M. de La Gâtinière. Son imagination, jusqu’ici, se serait autant refusée à concevoir un Turc sans barbe qu’un curé sans rides et sans cheveux gris. Un curé qui n’avait que vingt-cinq, ans ! c’est peut-être un phénomène d’expérience et de sagesse, pensait-il ; et le bon sens vaut l’âge.