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gnie, tout tendu de noir, était lugubre comme une chapelle ardente.

— Décidément, le propriétaire qui nous a vendu sa maison était fou, dit Richomme.

— Peut-être, mon bon ami, était-il en grand deuil, répliqua plus sagement sa femme.

On verra bientôt que madame Richomme ne se trompait pas.

— Fleuriot aurait dû m’avertir, pensa Richomme ; je n’aurais pas acheté, les meubles meublants. C’est à vous donner du noir dans l’âme ; n’est-ce-pas, ma femme ?

Résigné pourtant à ce funèbre mobilier, il poursuivit son inspection, et il ouvrit la porte de l’appartement du fond, lieu retiré, espèce de cabinet d’étude, orné d’une bibliothèque. Ici le propriétaire avait mis un terme raisonnable aux témoignages de sa désolation morale ; mais si ce cabinet n’était pas en grand deuil, les livres de la bibliothèque n’étaient pas faits pour égayer l’âme. Richomme frémit en lisant de pareils titres : Nuits d’Young ; la Lente Préparation à la Mort, poëme traduit de l’anglais ; Choix de Tristesses, ou collection des meilleurs morceaux élégiaques. Il n’alla pas plus loin, le cœur lui faillit ; en tournant le dos à ces épitaphes, il se promit de renouveler le mobilier de fond en comble. Las de ces petites contrariétés locales, dont pourtant il ne s’exagérait pas l’importance, il alla se coucher plein de la joie, si longuement attendue, de se mettre au lit, libre de tout souci d’affaires pour le lendemain, dégagé de toute préoccupation, comme le laboureur de Virgile. Heureuse indifférence si propice au sommeil !