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VII.

Quand Fleuriot sortit de son cabinet pour passer dans le salon, sa figure exprimait un contentement dont il ne tarda pas à confier la cause à sa femme. Glissant son bras sous celui de Lucette, il la souleva doucement de la place qu’elle occupait près du feu, et ils se promenèrent à petits pas. Il y a des moments où les hommes prennent la joie de leur ambition pour de la tendresse ; et parce qu’ils ont besoin de livrer passage à la lave de l’orgueil qui les tourmente et les brûle, ils s’imaginent avoir de l’amour ou de l’amitié. Fleuriot souriait au joli visage de sa femme en s’inclinant sur elle ; et, par moments, il quittait son appui docile pour se frotter les mains avec la trivialité du parvenu. Au bout de vingt ans de grandeur et de prospérité, un parvenu se frotte encore les mains.

— Sais-tu d’où je viens, Lucette ?

— Du cercle des droguistes, sans doute ?

— Tu plaisantes ! Moi au cercle ! J’ai fait ma première visite aux électeurs de l’arrondissement.

— Mais tu avais promis d’attendre les lettres d’introduction que devait t’écrire mon père.

— J’ai brusqué la partie. D’ailleurs, je suis justifié de ma hardiesse. J’ai réussi.

— Ah ! tant mieux, mon ami. Bien vrai ?

— Pleinement réussi. On se fait des montagnes de tout, quand on est à distance. Et crois-tu que j’aie suivi à la lettre les leçons de ton père, que j’aie fait mes visites à