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Et, tout en disant qu’il avait déjeuné, le nouveau convive prit successivement plusieurs œufs qu’il cassa et avala debout.

— Maintenant, reprit Fabry, me ferez-vous l’honneur, noble Russe, de nous donner la clef de cette énigmatique invitation dont vous nous voyez tous bien singulièrement surpris, quoique, en notre qualité de Français et de Parisiens, nous soyons habitués aux plus extravagantes drôleries ?

— Voici, répondit Adrianoff.

Parisien-Russe comme il y en a toujours quatre ou cinq mille à Paris, n’ayant rien dans l’accent ni dans le costume qui le différenciât d’un habitant du faubourg Saint-Honoré ou de la Chaussée-d’Antin, portant les modes de nos tailleurs avec l’aisance la plus naturelle, suivant nos théâtres avec l’assiduité d’un homme d’étude et de goût, marchant dans nos salons comme s’il fût né dans la pièce à côté, c’est à peine si son teint un peu blanc mat, ses yeux légèrement bleu slave, ses cheveux fins, d’un blond particulier, disaient aux habiles physionomistes qu’il appartenait au soixantième degré de latitude nord.

— Voici, répondit Adrianoff. Il y avait une fois un riche seigneur russe. Ce riche seigneur, par une froide matinée d’hiver, en allant à la chasse, trouva, abandonné