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Grand, mais sans excès, il marchait avec noblesse, quoique l’habitude du cheval eût forcé en lui le compas un peu au delà de son ouverture normale. Il rappelait ces braves enfants de la noblesse française qui suivirent autrefois Philippe-Auguste et saint Louis en Palestine, et qui y étaient demeurés si longtemps, qu’au retour ils avaient du mal à comprendre leurs vassaux et à s’en faire entendre. Chabert parlait l’arabe et tous les dialectes de l’Algérie avec plus de facilité qu’il ne parlait maintenant le français. La réflexion mélancolique des Orientaux, fille de la méditation indienne, la plus longue de toutes, les accès de silence, les attitudes accroupies sur les nattes, la sobriété exaltée jusqu’au jeûne, l’usage de la pipe de cerisier ou de jasmin poussé jusqu’au vertige, la rêverie jaune d’or de l’opium, cultivée et raffinée comme la suprême volonté des sens, enfin le mahométisme moins Mahomet, s’était introduit tout entier, austérité, tabac, opium, accablements et soubresauts qui les suivent, fatalisme, dans les veines du solide et féal colonel : le tout couronné par des principes de morale et d’honnêteté épurés de race en race jusqu’à lui, leur dernier et bien digne descendant.

Quant à Duportail, le dessin et la couleur chez lui n’étaient pas les mêmes. D’abord très-fin de visage, très-délié de corps, il avait gagné dans le canonicat et les dîners des ambassades un embonpoint inévitable à ceux de sa condition, voués aux banquets officiels. À vingt ans, il