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Le domestique arrêta la phrase finale de Duportail, en annonçant :

— M. de Fabry !

On a vu, par le caractère des deux premiers personnages intervenus au second plan dans l’action, qu’ils tranchaient l’un sur l’autre, comme une épée sur une plume. Chabert, l’épée, homme de quarante-cinq ans environ, était un de ces bons types militaires forgés et bronzés par le soleil de l’Algérie, où il avait toujours résidé depuis la conquête, à deux ou trois courtes absences près, et encore ces absences n’avaient-elles eu lieu que depuis peu d’années. Il n’appartenait guère plus à la France que par le souvenir et par le cœur. Le climat de l’Afrique, la vie nomade, la vie en plein air, en pleine chaleur, en le fortifiant, l’avaient corrodé et finement tanné comme un Bédouin. Ses épais sourcils, qui étaient restés noirs, mais ses moustaches qui avaient grisonné, sa mouche qui n’avait pas blanchi du tout, mais ses cheveux parfaitement argentés aux tempes, bariolaient son visage de teintes qui relevaient de l’histoire naturelle du tigre, et, grâce à ses yeux d’une vivacité fébrile, la comparaison n’avait rien de hasardé. Son cou était de fer, ses épaules libres portaient admirablement sa tête carrée, coiffée en brosse, distinguée du reste au possible, quoique laide comme celle de tous les Chabert, dont il venait d’avoir soin lui-même de rayer la beauté de leur généalogie.