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Comme Ambroisine se levait aussi, on sonna. Julie allait ouvrir. Vaudreuse arrêta la femme de chambre par le bras, et alors une petite comédie soudaine et muette se passa entre ces trois personnages sous le retentissement métallique de la sonnette. Le visage de Vaudreuse indiquait une lutte acharnée entre ses désirs et son amour-propre ; celui d’Ambroisine, un calme triomphant. Julie même avait son rôle dans cette scène d’une finesse exquise, complétement énigmatique pour un observateur étranger aux mœurs dorées de Paris. Au moment où l’on avait sonné, elle avait couru à la porte avec une précipitation peu généreuse pour son maître ou pour celui qui n’avait pas encore absolument cessé de l’être. Cependant elle n’avait pas ouvert. Le fil qui l’avait retenue dans son vol ne se voyait pas, quoiqu’il se prolongeât jusqu’à la main, désintéressée en apparence, d’Ambroisine.

C’est que dans l’arche où Vaudreuse avait enfermé, deux à deux, toutes les voluptés douces d’une situation enviée, il avait aussi, par mégarde, laissé entrer le créancier. Et le créancier, qui vit partout comme le vautour, avait flotté sur les plus belles mers avec lui. Une chose excusait Vaudreuse, c’est qu’il devait beaucoup ; et ses dettes n’étaient pas ignominieuses ; il n’était pas l’ignoble objet des persécutions d’un tailleur bavarois ou d’un bottier westphalien, ces honteux créanciers classiques, bons tout au plus au théâtre, ce ramassis de vieilles mœurs. Ses créanciers étaient d’une espèce plus distinguée. Ce