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suite sans regret, ainsi que cela se pratique. Vaudreuse fut vaincu. Il y avait trop d’amour vrai chez Ambroisine, pour qu’elle échangeât ses prétentions bien arrêtées contre l’éventualité brillante de maîtresse aux enchères. De jour en jour son caractère s’était développé, au grand étonnement de Vaudreuse, enchaîné peu à peu après avoir vécu sur la facile idée de reprendre son indépendance à l’heure de son caprice. Il arriva même que la répugnance d’Ambroisine à le suivre dans les sociétés habituelles où il allait, fut pour Vaudreuse une considération nouvelle de ne pas la traiter avec cette familiarité dont on s’arme plus tard pour dire aux dames de la spécialité de prendre leur congé et leur cachemire. Avec les amis de Vaudreuse, elle s’était toujours observée, ne permettant à aucun d’eux de compter sur le bénéfice d’une de ces brouilleries si fréquentes dans ces sortes de mariages trimestriels, pour lui offrir, le lendemain, souvent le jour même, la vacance d’un cœur et celle d’un mobilier ; car il est établi dans les mœurs si imparfaitement esquissées dans cette histoire, qu’un ami du détenteur qui résilie, doit prendre la place du détenteur ; et cela sans violence, sans provocation à duels, sans haine, sans froideur même. Et s’ils se rencontrent le lendemain dans les couloirs de l’Opéra, le dépossédé volontaire dira à l’acquéreur promu : « Madame se porte-t-elle bien ? bien des choses de ma part, je vous prie. » À quoi l’autre répond : « Je ne manquerai pas. » De leur côté, ces dames ne méprisent jamais aucun des amants qu’elles ont eus ;