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deur de sentiments avec ses camarades du Café de Paris, il était infiniment moins bravache en face d’Ambroisine, c’est-à-dire en présence d’une affection vraie. Il l’avait aimée, il l’aimait encore beaucoup, malgré ses maximes d’indépendance. Devant elle, le sabreur rentrait dans la discipline.

Lui, qui s’oubliait si facilement en beaucoup d’endroits, n’eût pas osé déplacer un tableau de son appartement sans permission ; lui qui jouait du bout de sa cravache avec les fleurs portées par certaines dames, dans certaines réunions, ne se fût pas permis, même en plaisantant, de toucher à un cheveu de la coiffure d’Ambroisine.

C’est qu’il n’est pas indifférent de dire que Vaudreuse n’avait pas emporté Ambroisine sous son bras par une nuit de bal masqué. Il ne l’avait prise à personne ; il n’avait pas renchéri pour l’avoir. Au milieu de ses mauvaises amours, une passion sincère s’était jetée sur lui, sur son cœur. De là, son embarras extrême de se conduire avec sa liberté ordinaire, une fois chargé de l’existence d’Ambroisine, qui, s’étant donnée à son amant, n’avait pas cru faire beaucoup plus de mal en se logeant chez lui. Déception pour tous deux : elle s’était imaginé conquérir les droits d’une femme légitime en habitant avec Vaudreuse, et Vaudreuse avait cru la façonner en peu de temps à la vie des bohémiennes charmantes dont il s’amusait pendant quelques mois, pour les quitter en-