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Nous devons encore ajouter que nos jeunes gens n’avaient invité aucune femme à souper, non que ce fût une habitude prise, mais les avoir pour convives n’était pas non plus un engagement de tous les jours. Il est donc légèrement erroné de croire que, dans leur catégorie peu connue, on se fasse verser du chambertin dans des coupes de nacre par des déesses d’opéra. Les déesses d’opéra sont très-rangées ; leurs maris montent la garde et leurs enfants sont élevés par les frères des écoles chrétiennes.

La seule femme qui se trouvait chez Léonard était une bonne cuisinière, merveille dont il savait le prix, et que s’inquiètent d’avoir tous ces jeunes gens dont on croit avoir poétisé les raffinements sensuels en les faisant dîner aux Frères-Provençaux. Les meilleurs dîners ont lieu chez eux, apprêtés par les mains savoureuses de leurs cuisinières, qui ne leur servent ni des mets ambrés, ni des vins couleur d’or, mais des volailles succulentes, des gigots cuits avec une sagacité mathématique. Pour vins, ils ont du bordeaux d’abord, et du champagne ensuite, vins qui, bus même avec excès, ne grisent que les gens de peu.

Enfin, Vaudreuse entra ; il était minuit un quart.

— À table ! dit Léonard. Marguerite est déjà fâchée du retard. À table !

— Tiens ! dit Anatole, placé en face de Vaudreuse, comme Vaudreuse a la figure renversée ! est-ce que tu serais fâché de nous trouver ici ?

— Je n’ai rien.