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le dragon rouge.

Après ces révélations, il ne restait plus qu’un désir au roi : c’était probablement celui de quitter au plus vite le couvent des Carmélites. Son fatal orgueil lui souffla une question dont un homme plus adroit se fut gardé d’être l’écho. Et moi, me trouvez-vous changé ? demanda-t-il à mademoiselle de La Vallière, avec l’assurance d’un homme qu’on comparait tous les jours au soleil.

Mademoiselle de La Vallière gardait le silence, et ce silence ne plut pas au roi.

— Mais enfin !… répéta le roi.

— Vous avez pris de l’embonpoint, bégaya-t-elle, beaucoup d’embonpoint.

Un outrage public n’eût pas plus profondément blessé le roi. De l’embonpoint ! Il était devenu gras, lui qui voulait passer pour la plus jolie taille de sa cour. Avec le calme de ceux qui n’ont plus rien à attendre de l’opinion du monde sur la terre, mademoiselle de La Vallière ajouta :

— Et je vous trouve le teint fort échauffé ; vous avez rougi.

Rouge et gras ! Le roi dut se maudire au fond de l’âme de la fantaisie d’être venu chercher de si mortifiantes vérités au fond du couvent des Carmélites.

Apres quelques autres propos décousus, le roi, troublé par la contrariété de ces révélations, le roi, qui ne comprenait pas comment il avait pu aimer jusqu’à l’adoration mademoiselle de La Vallière, prit congé d’elle avec plus de respect que d’affection ; et s’il y avait du regret dans sa voix, c’était plutôt le regret d’être venu que celui de s’en aller.

Telle est l’histoire racontée par mon grand-père, acheva de dire le marquis de Courtenay, de mon grand-père qui ne manquait pas d’ajouter en terminant son récit :

— Ceci prouve, mon enfant, qu’on ne se voit jamais tel qu’on s’était vu, et que ce qu’on a de mieux à faire, quand on a été amants, c’est de ne plus se revoir.

— Ton histoire ne me déplaît pas trop, dit Marine en repre-