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le dragon rouge.

ce pas ? J’en connais plus d’un qui se croit Louis XIV, et à qui il manque autre chose qu’une couronne pour lui ressembler.

— Continuez, monsieur le marquis, je vous en prie.

— Puisque vous le permettez. Mon grand-père était donc de service, un soir d’été, dans les appartements de Louis XIV. Minuit avait sonné depuis longtemps ; le roi, suivant son habitude, avait caressé ses chiens ; il n’avait plus qu’à se mettre au lit, lorsqu’il fit appeler mon grand-père. « Monsieur de Courtenay, lui dit-il, allez ordonner qu’on fasse avancer sans bruit, jusqu’au perron du château, la voiture d’un de mes gens, la plus simple, revenez ensuite, et disposez-vous à me suivre. »

Mon grand-père obéit.

Tout se passa en silence.

Le roi et mon grand-père, son page, montèrent en voiture, et le cocher, à qui le roi avait parlé tout bas, se mit en devoir de les conduire. C’était par une belle nuit du mois d’août.

On traversa la Seine, on remonta les quais jusqu’au delà du Pont-Neuf ; la voiture s’enfonça ensuite dans une infinité de petites rues noires et silencieuses. Au bout d’une demi-heure environ, la voiture s’arrêta à la porte d’un vaste bâtiment sombre dont les ailes prenaient à elles seules une centaine de pas sur la longueur de la rue. Cette rue, mon grand-père ne le sut pas tout de suite, était la rue Saint-Jacques, et cette grande et triste maison, le couvent des Carmélites où, depuis dix ans, mademoiselle de La Vallière s’était volontairement cloîtrée. Depuis dix ans Louis XIV ne l’avait pas vue. Un retour sur le passé, une fantaisie royale, née au milieu d’une nuit d’insomnie, lui avait inspiré le désir (et les désirs du roi ne souffraient pas de retardement) de voir mademoiselle de La Vallière, qu’autrefois il ne pouvait se passer de voir un seul jour.

Casimire poussa un soupir, et, quoique cette histoire ne fût pas racontée avec la délicatesse de ton d’une Lafayette, elle