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le dragon rouge.

sans cesse bourdonnant, que Casimire pensait, le front dans ses deux mains, à son père, en route vers la France, à son grave ami, à son affectueux conseiller, qu’elle voyait toujours debout, devant elle, comme au moment de leur adieu, les yeux humides de larmes, le visage pâle et la main appuyée sur le pommeau de son épée. Elle collait alors son visage mélancolique aux carreaux de la croisée, et son regard se prolongeait sur le sol de neige qu’il foulait si loin d’elle. Où était-il ? Que faisait-il en ce moment ? Pensait-il à elle comme elle pensait à lui ? Quand reviendrait-il ? Pourquoi le corps ne peut-il s’attacher au corps, pourquoi l’ombre ne peut-elle suivre l’ombre, comme l’âme, pensait-elle, s’attache à l’âme, malgré les distances ? Sa rêverie était tout à coup brisée par un bruit de dedans. Le marteau du tapissier tombait par terre ; on accordait un clavecin ; le marquis revenait en fredonnant quelque air de sa façon. Casimire rentrait bien vite ses soupirs et ses tristes réflexions, et reprenait sa tâche interrompue.

Le marquis de Courtenay avait alors vingt ans, et il ne paraissait avoir aucun âge, tant il était frêle du corps, délicat de la figure : il tenait de l’enfant et du vieillard. Son front étroit, ses joues amincies, son menton pointu lui donnaient l’aspect un peu oiseau, signe notable de frivolité, de bizarrerie, de faible intelligence. La distinction, une certaine vivacité, un cliquetis brillant dans le regard, le vernis même de la jeunesse ne sauvait pas la pauvreté de ce visage, spirituel comme un bon mot, mais maigre aussi comme la plupart des bons mots. Toute l’exquise élégance de ses habits de soie, toute la finesse et la blancheur du linge étaient impuissants à dissimuler la maigreur du marquis. Son corps était une ligne droit, une règle parfaitement habillée. Il n’avait ni épaules ni hanches, et, quoi qu’il fît, ses jambes rappelaient celles du cerf.

Son pied pourtant était joli, bien dessiné, et, chose rare chez un homme de son organisation, sa main n’était pas sans grâce. Il n’est pas de soins, il est vrai, qu’il n’apportât à faire valoir