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n’avait jamais été aussi riche que le marquis de Courtenay, dont l’ambition, ambition qui ressemblait déjà un peu à de la folie, consistait à rappeler, sans désavantage, la magnificence de Louis XIV. Pas moins. Ce modèle désespérant fut le sien. Le marquis se composa d’une cour ; sauf le titre de roi, il prit toutes les manières et les allures d’un roi. Il eut des pages, des lecteurs, des musiciens, des poëtes. Les campagnes du marquis de Courtenay ne pouvant être encore reproduites comme celles de Louis XIV, des peintres retracèrent sur les sujets mythologiques les plus gracieux. S’il ne conquit pas de royaumes, il songea du moins à s’immortaliser par des fêtes dignes de rivaliser avec celles du monarque fastueux de Versailles.

Une femme étant le meilleur guide à prendre pour décorer une maison, le marquis de Courtenay ne voulut rien faire sans consulter Casimire. Son goût fut sa loi. Elle choisit les étoffes, adopta les couleurs, commanda en souveraine sur toutes choses. Des poignées d’or passaient par ses mains et se convertissaient en pendules, en tapis, en ameublements exquis.

Au fond du cœur, Casimire n’était pas fâchée de donner un aliment à la langueur de ses pensées, toutes tournées vers celui qui n’était plus là. Nouvelle Pénélope, cette occupation frivole, imposée à son esprit par le marquis de Courtenay, était la broderie de ses veilles. Seulement son œuvre n’était pas détruite le jour. Elle devait lui faire, au contraire, le plus grand honneur dans l’opinion des dames polonaises, impatientes de voir arriver le moment où elles applaudiraient au goût et à l’adresse d’une Parisienne. C’est dans la plus profonde impénétrabilité qu’elle conduisit les travaux dont l’avait chargée le marquis, adroit à profiter de l’isolement où il l’avait mise pour l’entretenir des journées entières de ses propos adorables, superfins et musqués. Il débitait en une matinée plus de galanteries que n’en disait en un an son frère le commandeur. C’est seulement lorsqu’il n’était pas auprès d’elle, hanneton