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le dragon rouge.

elles vivant peu, mais parfumant l’air : on jouit de leurs chants, on admire leur éclat ; mais quand ceux-là meurent, on les renouvelle ; quand celles-ci sont passées, on en envoie chercher d’autres au marché. Quelle incroyable erreur, quelle bizarre fantaisie de se faire l’esclave de l’oiseau, de la fleur, de la pierre et de l’arbre ! Tout est pour nous. Que chacun en dise autant, et que le plus fort l’emporte ! Le plus fort, c’est le plus adroit. Nous serons nous-mêmes, dans peu, un exemple de cette vérité que nous n’avons pas inventée, que nous avons trouvée en venant au monde. Tous nos ennemis seront dispersés et vous vous assiérez sur le velours d’un trône. À quoi devrons-nous cela ? À l’emploi des facultés supérieures dont nous sommes doués et à la direction prudente, attentive, que nous leur avons donnée. Je vous laisse pour adieu, Casimire, termina solennellement le comte, une espérance grande comme notre race.

Cette pompeuse phrase tomba avec un baiser plus mystérieux que tendre, plus politique que paternel, sur le front fasciné de Casimire.

M. de Canilly, ayant aperçu quelques larmes autour des paupières de sa fille, s’écria :

— Ah ! mon Dieu ! vous oubliez déjà mes leçons ? Les reines ne pleurent pas.

Le soir de ce jour, le commandeur quitta Varsovie pour aller combattre les Turcs, et M. de Canilly sortait par une autre porte de la ville pour aller renverser le régent qui occupait le trône de France, en vertu de l’autorité des parlements, c’est-à-dire en vertu de l’autorité la plus légitime.

Le commandeur de Courtenay n’était qu’un obscur militaire, mais M. de Canilly avait la prétention d’être un profond politique.

Dès que l’un et l’autre, le comte et le commandeur, furent partis de Varsovie, le marquis de Courtenay, resté seul, poussa un profond soupir de contentement, releva la tête, et s’écria dans une joyeuse expansion :