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le dragon rouge.

mais a-t-il créé davantage les jambes de l’homme pour les caleçons et les pantalons, les pieds de l’homme pour les chaussettes et les souliers, les épaules de l’homme pour ces tristes linceuls appelés habits, gilets, redingotes ? Ne sont-ce pas autant de murs élevés devant la sensibilité que Dieu a bien et réellement départie à chacun de nous ? Car nous éprouvons par chaque point du corps, comme nous éprouvons avec les nerfs du nez et les papilles des lèvres. L’homme est tout lèvre, et nous l’avons fait tout pantalon.

Le teint du marquis Besson de Bès tirait sur le brun, quoique tout enfant ses cheveux jouassent le blond au point de tromper les conjectures de sa mère. Nous aurions souhaité que, d’après cette esquisse, malheureusement trop imparfaite, on eût deviné le corps du marquis, délié, mais ferme, sa poitrine aisée, ses bras tombant avec grâce sur ses hanches, sa jambe à la chevalière, charmante, de l’aveu même des vieilles femmes, si difficiles en fait de jambes, surtout au temps où des bas de soie d’un jaune doré ou d’un bleu tendre ne dissimulaient aucune imperfection. Le marquis était un joli homme dans toute la perfection du mot.

C’est tout son grand-père à vingt ans, disait la grand-mère du marquis Besson de Bès, en suivant des yeux son petit-fils lorsqu’il allait au bal de la cour. Comment vérifier la justesse d’un tel éloge ? Bornons-nous à croire que le grand-père du marquis avait la main blanche, souple, un peu sèche, comme il convient d’ailleurs à un gentilhomme né pour porter des bagues et manier hardiment une épée. Lui-même, lorsqu’il jouait au billard ou lorsqu’il mangeait une cuisse de poulet, il aimait à montrer sa main dans toute sa finesse et toute sa beauté.

Quoique son nom ne figure ni dans les Mémoires secrets, ni dans l’Espion turc, il ne passa pas moins sa première jeunesse, il faut bien le dire, dans les coulisses de la Comédie italienne et sur le sopha des actrices. Si quelques aventures