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le dragon rouge.

— On fera quelque chose pour eux, répondit M. de Canilly avec la dignité discrète d’un nouveau souverain, jaloux de ne pas trop se compromettre par des promesses inopportunes. Il se croyait arrivé ; il avait déjà comme un besoin d’ingratitude.

— Venons, reprit-il, à ce que j’attends de vous. Vous écrivez également bien le français et l’espagnol. Prenez toute la nuit pour rédiger dans ces deux langues un manifeste que je répandrai aux frontières dès que le régent les aura passées. Distinguez-vous ; c’est une œuvre historique, une pièce qui restera. Je compte sur l’élévation de votre style. Peignez avec chaleur, avec force, brièvement, à la Tacite, l’état d’avilissement où était la France sous le sceptre du régent et la prospérité dont elle jouira sous celui si beau, si légitime, du roi d’Espagne. Votre plume vous vaut cette fois une couronne. Avouez enfin que l’éducation que vous avez reçue, que les leçons que votre père vous a données ont porté d’admirables fruits. Que seriez-vous sans moi ? répondez ! La fille d’un comte ? Par moi vous êtes la fille d’un roi de Navarre. Mais une difficulté reste encore à vaincre, et celle-là vous regarde.

— Moi ?

— Vous-même. Vous me demandiez, il n’y a qu’un instant, si M. de Marescreux ne pouvait pas me trahir en conspirant avec moi pour renverser le régent ; moi je ne crains rien, vous ai-je répondu ; mais lui, je dois vous le dire à présent, exige de ma part de bonnes garanties de complicité. Il se méfie de moi, c’est trop juste. Connaissant le gros de l’humanité, il veut me lier à lui, il veut se lier à moi d’une manière indissoluble. Soupçonnez-vous par quel moyen ?

— Mais pas encore, mon père.

— Vous ne devinez donc pas à qui je destine ce charmant portrait, d’une si parfaite ressemblance ? demanda le comte en montrant à Casimire le portrait qu’avait fait d’elle, il y avait à peine quelques mois, le commandeur de Courtenay.

— Mon portrait ! Vous le destineriez à quelqu’un ?