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le dragon rouge.

petite, modeste, je le sais, mais je la veux pour votre tête qu’elle fera jolie et précieuse, mignonne et royale comme celle de Marguerite de Navarre. Êtes-vous contente, ma souveraine ? dit ensuite le comte de Canilly en prenant dans ses deux mains la tête de sa fille, et en l’embrassant avec la royale familiarité de Priam ou d’Henri IV.

— Si je suis contente, mon père ; mais vous me rendrez folle !

— Gardez au contraire toute votre raison, reprit M. de Canilly, gardez tout votre sang-froid pour m’aider à frapper le grand coup, le coup de Charles Martel. Je vais m’expliquer.

Vous sentez, d’après tout ce que je viens de vous apprendre, combien mon éloignement des frontières de l’Espagne et de la France nuirait à l’exécution de nos projets.

— Vous partiriez ?

— Secrètement.

— Je tremble, mon père ; ce départ…

— Pourquoi cela ? Avez-vous pensé qu’on cueillait une couronne comme on soulève de terre un panier de fraises ? Point de faiblesse. Je partirai demain pour la France. Je vais à Paris. Mes amis sont prévenus. Je les vois ; nous nous entendons ; je fais route aussitôt pour la frontière. Tout calculé avec eux, j’arriverai dans le Béarn le jour où le régent sera enlevé à Paris. Pendant les dix jours qu’il mettra à faire son voyage, je préparerai nos amis des frontières à bien le recevoir. Dès qu’il aura franchi les dernières limites de la France, dès qu’il sera en Espagne, je regarde la besogne comme finie pour nous. Le reste est l’affaire du roi Philippe V. On proclame bientôt sa régence, et je n’ai plus qu’à attendre le prix de ma coopération à ce grand acte politique, le plus hardi de l’histoire moderne. J’estime que dans quelques mois je serai roi de Navarre et installé avec vous dans ma nouvelle cour.

— Oh ! alors, s’écria Casimire, vous songerez à MM. de Courtenay, qui nous sont attachés, mon père, avec tant de zèle, tant d’affection.