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le dragon rouge.

— Mais, mon père, si cet homme vous trahit ?

— Lui ! Si nous réussissons, il devient duc de Béarn et de la Navarre. Et savez-vous ce qui le fera duc de Navarre.

M. de Canilly regarda sa fille dans les yeux.

— Apparemment le roi d’Espagne, devenu régent de France.

— Ce sera le roi de Navarre lui-même.

— Mais depuis Henri IV, il n’y a d’autres rois de Navarre, mon père, que les rois de France, il me semble ?

— On fera un nouveau roi pour un nouveau royaume de Navarre, et ce nouveau roi fera sa fille reine, car elle pourra alors monter sur tous les trônes, puisque Henri IV est bien monté sur celui de France.

— Mon père ! mon père ! s’écria Casimire, moitié ivre d’orgueil et moitié courbée sous la peur du danger auquel s’exposait son père ; songez, encore une fois, qu’il y a un roi de France à Paris.

— Eh ! mon Dieu ! qui veut l’empêcher d’arriver ?

— Mais si jamais le roi d’Espagne devient régent, croyez-vous, mon père, qu’à la majorité du jeune roi il consente à descendre du trône où on l’aura provisoirement appelé ?

— Eh bien ! si cela arrivait, nous conspirerions contre lui, répondit M. de Canilly, qu’une conspiration de plus n’arrêtait pas, et nous aurions la gloire de remplacer Louis XV sur le trône de ses aïeux. Autres conspirations, autres honneurs. Les choses se passent de roi en roi. Le monde politique, continua-t-il avec emphase, est porté sur cette grande mer toujours pleine de triomphes et de naufrages. Mais rassurez-vous, ma fille, sur mon compte ; jamais conspiration ne se sera mieux passée : ce n’est qu’un simple coup de main. Dans trois mois, dans trois mois ! vous pouvez être la fille du roi de Navarre, ce qui n’est, après tout, qu’un grand honneur, et non absolument un coup de foudre à étonner l’univers, car les Canilly ont été comtes souverains en Italie, avant Othon.