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le dragon rouge.

de fruits, pétries par les mains de feu de l’admirable Bernard de Palissy. Le marquis prodiguait son portrait ; travers délicieux des gentilshommes du dix-huitième siècle, galanterie raffinée à la faveur de laquelle l’art du peintre, du ciseleur, vivait, et qui, quoique sans conséquence, donnait à la moindre familiarité sa pointe de mystère.

C’était une figure heureuse, celle du marquis Besson de Bès, longue, fière, un peu maigre ; elle resta toujours maigre comme une preuve d’amour pour la grâce spirituelle de sa mère et comme un témoignage de respect envers les façons un peu superbes de ses aïeux paternels ; nez d’aigle, mais de jeune aigle, privé encore de toute rapacité ; la courbure ne craignait pas l’épreuve du profil. D’ailleurs, la vapeur lumineuse de ses yeux bleus adoucissait l’expression de son visage et en attendrissait le contour un peu trop ciselé peut-être pour notre goût moderne. Sa bouche était faite pour lui, au contraire de tant de gens dont les traits semblent avoir été achetés de hasard et placés sans discernement ; elle était bien dessinée parce qu’elle cachait de jolies dents, une chose étant toujours la conséquence de l’autre. Les dames auraient désiré que ce fût tous les jours le premier de l’an en voyant cette bouche, les dames anglaises ; les dames françaises n’ont pas de ces idées-là. Ce qui lui allait comme les ailes vont à un ange, c’était la poudre, cette superfluité, cette bizarrerie, cette monstruosité si l’on veut, mais cette monstruosité ravissante, et le linge, les dentelles à gros et petits bouillons, la dentelle, ce duvet de l’oiseau civilisé qu’on appelle l’homme de cour. Il y avait une originalité à tout jamais perdue, je le crains, dans le baiser de la jeune épouse se faisant un chemin entre ces touffes brodées, nuage de mousseline, et ces touffes parfumées, nuage de cheveux, quelques chose d’aérien, comme la rencontre du pigeon et de la colombe dans les airs. Dieu n’a pas créé la poudre ; du moins, pour parler plus exactement, semble-t-il n’avoir pas créé les têtes pour être poudrées ; on en convient ;