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le dragon rouge.

de l’état de bouton à l’épanouissement. On sentait sous cette enveloppe fraîche grandir, travailler, fermenter le germe de la jeunesse et de la beauté. Les feuilles semblaient impatientes de sortir, d’éclater. Un sourire pouvait faire entr’ouvrir cette bouche encore prise par les coins, un sentiment inconnu déchirer les tendres charnières de ces deux yeux noirs, dont la langueur n’était encore que de la curiosité, de la réflexion, de l’étonnement, faire palpiter les ailes de ce nez qui n’avaient frémi jusqu’ici qu’au contact d’un fruit aimé, et faire battre ce sein né d’hier comme les petits du ramier. La robe de soie blanche aux quadrilles bleus, dans laquelle Casimire était étroitement serrée par le haut, se ballonnait à la jupe, et ses grandes manches flottaient. Ce costume, sérieux et pomponné à la fois, moitié Médicis, moitié Watteau, lui allait à ravir. Elle ressemblait, ainsi vêtue, à ces graves et jolies compositions de l’école espagnole, fiers portraits appelés par les peintres du titre symbolique de dame Tubéreuse, de demoiselle Anémone.

Arrivé, en quelques minutes d’un galop serré, à la plaine où se rendait chaque soir la louve, le commandeur entendit les cris lugubres, les déchirements gutturaux, les aboiements affamés de la bête.

Il poussa plus avant.

Sous un arbre et à deux ou trois cents pas du terrain sur lequel la louve était en train de dépecer le cheval mort, le commandeur aperçut comme un homme qui tremblait, et l’ombre de cet homme tremblait sur la neige. Le commandeur alla vers cette ombre ; l’homme était son frère.

— Donnez-moi au plus vite vos pistolets, lui dit-il, et prenez mon manteau. Le vôtre ne vous suffit pas ; vous avez froid : c’est le froid qui vous fait trembler. Montez sur ce cheval, je vous l’ordonne, je vous en prie, mon frère.

— Mais…

Son épée nue sous le bras gauche, un pistolet armé dans la