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le dragon rouge.

— Qu’ont de commun mon frère et cette louve ? demanda le commandeur.

— Il y a de commun, dit Casimire en se levant de sa place et en venant, charmante enfant toute parée du bal, se mêler à la conversation, que ces messieurs, bien contre mon avis, oh ! croyez-le bien, ont tiré au sort pour savoir celui d’entre eux qui, seulement armé d’une paire de pistolets et d’une épée, irait appeler en combat singulier cette louve furieuse, afin de la tuer et d’en apporter les quatre pattes et la tête à une demoiselle de l’assemblée.

— Je devine, interrompit le commandeur, dont le visage ne trahit pas la pénible contrariété qu’il éprouva : le sort a désigné mon frère pour aller tuer la louve ou s’en faire dévorer.

— C’est parfaitement cela, s’écrièrent les jeunes seigneurs polonais, race en tout temps de papillons héroïques, gens qui courent à la mort en dansant. À lui l’honneur de la victoire, reprirent-ils. Il sera embrassé par la dame aux pieds de laquelle il déposera son sanglant trophée.

— J’ai voulu m’opposer à cette imprudence, dit Casimire, mais ces dames et ces messieurs m’ont blâmée de ma faiblesse, et d’ailleurs monsieur votre frère ne m’a pas écoutée ; enfin il est sorti il y a déjà deux heures pour aller tuer la louve.

— Vous auriez eu tort de le retenir, dit le commandeur. Mon frère est brave, et c’est un devoir de sortir avec honneur d’une telle partie une fois qu’on y est engagé. Seulement, messieurs, ajouta le commandeur, opposant le calme à la légèreté de ses auditeurs, vous avez oublié une circonstance dont je dois vous faire part.

— Quelle est cette circonstance ? Serait-ce que vous craindriez, monsieur le commandeur, que la louve ne parût pas ce soir, par ce beau froid qu’il fait et ce tapis de neige qui va de Varsovie au pôle ? N’ayez pas cette crainte, monsieur le commandeur. Dans la journée nous avons fait jeter un cheval mort à l’endroit de la plaine où la louve a l’habitude