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le dragon rouge.

est célèbre. Tous les capitaines sont célèbres, toutes les victoires sont célèbres, tous les monuments sont célèbres ; il n’est pas jusqu’au chocolat qui ne partage ce privilège. On vous offre du chocolat célèbre. Franchement il est bon. J’avoue qu’il est meilleur qu’à Paris.

« Quel est donc cette longue diablesse de pièce qu’on nous a donnée ? Au premier acte, nous avons vu des moines ; au second, des moines ; au troisième… Enfin, jusqu’au dixième acte, des moines. Impatientée, Léonore m’a dit tout bas un mot charmant : Que ne donnerais-je pas, mon cher Tristan, pour voir un tout petit sacristain ! »

« Quelques jours après, nous avons été invités à entendre un célèbre prédicateur qui fait en ce moment les délices de la grandesse espagnole. L’orateur est un fort bel homme, comme tous les prédicateurs espagnols, du reste ; car s’ils n’étaient pas beaux on ne les écouterait pas. Il ressemble beaucoup à l’Hercule qu’on voit dans notre salon d’été à la campagne ; seulement, il est plus gros que notre Hercule. Son succès fut prodigieux : j’en juge par le grand nombre de gens qui ont couru baiser sa soutane lorsqu’il est descendu de la chaire. Je ne puis vous parler que de sa voix, n’ayant pas compris une seule de ses phrases. Avec cette voix tonnante, il a imité le coq de saint Pierre, le bœuf de saint Luc, le chien de saint Roch, l’âne de Balaam, et le cri de tous les animaux qui jouent un pieux rôle dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Notre Bossuet est une fourmi à côté.

« Nous nous portons aussi bien, chère maman, qu’on peut se porter dans une ville où l’on s’amuse tant. Croyez que nous n’y resterions pas le temps de danser une sarabande si ce n’était par obéissance à votre volonté, qui sera toujours notre plaisir.

« Mes respects affectueux à mon père, un gros baiser à Marine et le plus cher de mes souhaits à vous.

« Tristan de Courtenay. »