Page:Gozlan - Le Dragon rouge, 1859.djvu/303

Cette page a été validée par deux contributeurs.
300
le dragon rouge.

patienter pour confondre aux yeux du commandeur l’imposture de Raoul de Marescreux. Les preuves seraient complètes, irrécusables, éclatantes. Que dirait le commandeur ? Le commandeur se rendrait à la lumière, à la vérité. Il n’était ni de ceux qui accusent vite ni de ceux qui reviennent lentement. Quel beau retour à la vie on lui préparait ! Mais c’était deux jours à attendre.

Ainsi ballottée, que la marquise était bien l’image de tous ceux qui, comme elle, ont aventuré leur pauvre vie sur cette mer sans rives ni fond qu’on appelle la politique ! Une vague lui avait arraché deux enfants, une autre vague avait démâté sa fortune à la cour en emportant dans ses plis son protecteur, le duc de Bourbon. Elle allait poser le pied sur un appui, sur ce commandeur qu’elle semblait avoir ressuscité de son propre souille, et le commandeur croulait sous elle. Ce rocher était un banc de sable. Toujours la grande mer. Enfin elle apercevait un phare à l’horizon. Son salut dépendait de cette dernière lueur. Il lui restait le roi, mais rien que le roi.

La nuit que la marquise venait de passer entre les regrets donnés à ses enfants et les reproches qu’elle avait endurés du commandeur allait finir. Avant de prendre un repos qu’elle avait mérité, elle fit appeler Marine pour lui ordonner de consacrer sa journée aux préparatifs de sa grande toilette de cour. Elle avait à lui dire sur quelle parure de diamants elle avait fixé son choix, et mille autres choses de cette importance. Un domestique vint lui apprendre que, malade depuis la veille d’une fluxion de poitrine, Marine s’était mise au lit. Il fallait donc que la marquise remît ses ordres à une autre dame de compagnie, contre-temps qui affligea doublement la marquise parce que personne ne savait aussi adroitement l’habiller que Marine, et parce que, d’année en année, elle avait aimé davantage cette excellente créature, dont elle avait fini par faire, à force de confidence et d’affection, quelque chose de grave et de familier entre la mère et l’amie.

La marquise ne sortit du sommeil faible et agité auquel elle s’était livrée pendant quelques heures que pour goûter du bout