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le dragon rouge.

Je vais lui écrire, il faut que je lui écrive… Je vais écrire au commandeur que ce que lui a dit ce Raoul de Marescreux est une abominable invention à laquelle il a eu recours pour se venger de ce que je lui ai refusé la main de ma fille. Je vais lui dire que ce portrait fut envoyé à son frère, M. de Marescreux aîné, lorsque mon père eut la fatale pensée de m’unir à lui, afin de lui prouver qu’il liait indissolublement sa destinée à celle de sa famille, lors de la conspiration contre le régent. Mais l’hommage que je lui faisais moi-même de ce portrait ? eh bien ! je dirai la vérité ; je dirai que mon père me força à écrire de ma main les mots tracés au bas de ce portrait. Me croira-t-il ? Oh ! en suis-je arrivée à ce que lui aussi n’ait aucun respect pour ma parole ? Mais je le lui jurerai. Croira-t-il à mes serments ? On ne croit à rien dans le monde où j’ai vécu et duquel il a voulu cent fois m’arracher, et où je suis restée, et où je suis encore. Il m’a vue si souvent m’exercer à dissimuler avec adresse ma pensée, à revêtir de formes si subtiles mes opinions et mes réponses, qu’il sourira à ma justification et qu’il me prendra en pitié après m’avoir eue en mépris. — Non ! je n’écrirai pas. Il sortira de la retraite où il se cache, et il m’entendra ; oui, il m’entendra ! Je mourrai à ses pieds ou il ne me relèvera que comprise, justifiée et pardonnée. Je veux qu’il ait sa grâce : c’est bien le moins qu’on accorde la grâce de celui qu’on a cru mort. Tout Paris, toute la France se soulèverait s’il était un tribunal assez inique, assez cruel, pour frapper la victime quand le meurtrier est libre. Il me faut sa grâce. C’est la mienne que je vais demander.

À qui m’adresser ? se dit la marquise, arrêtée tout à coup par la réflexion. Le duc de Bourbon n’est plus ministre. Il est dans l’exil.

C’est alors que la marquise mesura toute l’immensité de la perte qu’elle avait faite par la chute du duc de Bourbon. La source de son crédit s’était tarie. Le rival du duc de Bourbon, son ennemi, l’avait enfin renversé : l’abbé Fleury gouvernait