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le dragon rouge.

Le sort de Léonore occupait plus sérieusement la marquise ; elle ne se souvenait pas sans effroi de la prétention menaçante du dragon rouge. Il avait osé demander la main de Léonore, l’exiger. Ce jeune homme avait montré tout ce qu’il serait capable de tenter pour l’obtenir. Il était parti, mais la menace était restée suspendue. S’il reparaissait un jour, s’il venait une seconde fois et plus impérieusement encore redemander Léonore à la marquise comment celle-ci défendrait-elle sa fille ? Le commandeur serait-il là pour les protéger ? La terreur des mères est prophétique. Ce jeune homme reviendrait un jour : la marquise en était sûre ; il n’était pas loin de Paris ; il n’avait pas touché le prix de sa vengeance, si mystérieuse et si bien calculée. Léonore était ce prix. À qui dire toutes ces craintes ? à qui les confier utilement ? Habituée à la défiance, elle voyait dans chacun de ses domestiques un complice qui ouvrirait pour de l’or, quelque nuit, les portes de son hôtel à Raoul de Marescreux, et Léonore serait enlevée.

Paris, dès ce moment, ne lui parut plus un lieu assez sûr pour mettre sa fille à l’abri d’une pareille tentative. Discrètement elle écrivit au duc de Bourbon de faire nommer Tristan secrétaire auprès de l’ambassadeur de France à Madrid et de lui permettre de se faire accompagner de sa sœur Léonore. Son fils étant d’âge à entrer dans les fonctions diplomatiques, elle sollicitait pour lui cet emploi, dont il était digne par sa naissance.

Tel fut le projet auquel la marquise de Courtenay s’arrêta, et le seul qui parût offrir à sa sollicitude maternelle de suffisantes garanties contre les poursuites de Raoul de Marescreux. La réponse du duc de Bourbon fut sa propre oraison funèbre. En accordant à la marquise ce qu’elle lui demandait pour son fils, il ajoutait que c’était la dernière faveur qu’il faisait. Le roi venait de le remercier de ses services en l’exilant en Bretagne. Le cabale de l’abbé Fleury avait pris le dessus, ce à quoi il s’attendait depuis longtemps, les Condé ayant succombé à la cour toutes les fois qu’ils se sont trouvés aux prises avec les