Page:Gozlan - Le Dragon rouge, 1859.djvu/293

Cette page a été validée par deux contributeurs.
290
le dragon rouge.

placés par l’abbé Fleury dans les bureaux du duc de Bourbon eurent connaissance de la pétition de la marquise de Courtenay en faveur du jeune dragon béarnais ; la manière pressante, la forme romanesque, l’heure singulière de la demande furent portées à la connaissance de la cour, qui connut ainsi le fait et les détails avec une grande jubilation de scandale. Il plut des épigrammes et des chansons.

L’orage grondait fort, on le voit, autour de la marquise, en même temps que tous les appuis dont elle s’était entourée ployaient et menaçaient de se briser. Deux ancres seules résistaient encore à l’entraînement du courant qui l’emportait : le commandeur, ou plutôt son ombre, car que restait-il de lui en réalité ? Excepté la marquise, qui aurait osé affirmer qu’il vivait encore après tant de preuves de sa mort ? Le besoin impérieux chez elle de croire à la vie du commandeur, quelques inductions mystérieuses dont le temps ne tarderait pas à déchirer le voile, suffisaient-ils pour le compter encore au nombre des vivants ? Son autre consolation résidait dans ses deux enfants, Tristan et Léonore. Elle revenait à eux et s’y attachait avec une énergie désespérée. La douleur les lui rendait. Elle aurait voulu maintenant leur payer tout à la fois l’amour dont elle les avait privés jusque-là. La mère réclamait les droits négligés par la femme. Mais ces sortes d’oubli se réparent-ils ?

Toutes les caresses qu’elle jetait dans cet abîme pour le combler rétablissaient-elles le niveau ? Ils allaient entrer dans la vie, eux aussi ; avait-elle préparé leur sort ? Elle pouvait compter les heures où elle avait sacrifié les agitations du monde et de la cour aux soins de leur éducation. Tristan n’était qu’un jeune homme, un enfant aimable, d’un caractère léger et facile, qu’elle n’osait pas élever comme elle avait été élevée par son père, de peur de recommencer une tradition fatale ; d’ailleurs il n’avait en lui aucune des qualités sérieuses de M. le comte de Canilly. Il aimait le plaisir, courait les fêtes et ne soupirait qu’après le moment où il aurait un emploi d’honneur à la cour.