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le dragon rouge.

Mais comme il s’était fait entourer ! comme on lisait sa peur sur son visage effaré ! Il regardait sans cesse autour de lui.

C’est Marine, la forte tête de la maison, qui avait tout réglé en si peu de temps ; semblable à ces bonnes mères dont la souffrance agrandit le cœur, et qui seraient capables, à l’heure de l’agonie, de se lever de leur lit pour se tailler elles-mêmes leur linceul de peur de causer trop de chagrin à leur fille.

La cérémonie funéraire se fit dans tous ses détails. Une seule personne restait calme au milieu de la consternation générale : c’était la marquise ; on ne vit pas glisser une seule larme entre ses paupières. Elle semblait, au contraire, sourire parfois à ce qui se passait sous ses yeux. Elle s’épanouissait intérieurement à ce jeune soleil, promenant ses cheveux d’or sur le manteau du catafalque, teignant le pavé des gaies bigarrures des vitraux à travers lesquels ils passaient. Ni le chant des morts, ni la prière suppliante, ni la voix émue de l’aumônier, qui prononça en chaire l’éloge du commandeur, ne plissèrent une seule fois le front de la marquise. Elle chantait aussi, mais les vertes joies de l’espérance. Elle murmurait l’hymne de vie quand on chantait à ses côtés l’hymne de mort. Tout lui paraissait heureux et riant. Il pleuvait pour elle des paillettes d’or ; le jour était rose, l’air était doux dans cette chapelle si noire, si humide, si lugubre pour les autres.

Aucun de ses mouvements n’avait été perdu pour Marine.

La cérémonie achevée, chacun se retira en silence.

Dès qu’elle fut dans ses appartements, la marquise se hâta de se débarrasser de ses habits de deuil, qui l’oppressaient ; elle passa une robe claire comme ses idées et se plaça à son secrétaire. — Elle écrivit :

« Avoir lu votre nom, ce n’est plus douter de votre existence, quoique je revienne à l’instant même d’entendre réciter l’office des Morts sur vous. J’ai poussé l’impiété jusqu’à être heureuse quand tout le monde à mes côtés fondait en larmes. Mais je savais que tous ces pleurs pouvaient s’arrêter sur un