Page:Gozlan - Le Dragon rouge, 1859.djvu/283

Cette page a été validée par deux contributeurs.
280
le dragon rouge.

consentir à cette cérémonie, qui serait une profanation.

— Vous avez été prévenue, répondit le marquis sans hésiter et avec une plénitude qui accusait la plus coulante netteté d’esprit ; j’ai fait tendre de noir, la nuit dernière, la chapelle de l’hôtel. Notre aumônier est averti que la cérémonie aura lieu sans bruit demain, à sept heures, et rien qu’en présence de notre famille et des domestiques de la maison, le genre de mort de mon malheureux frère étant assimilé au suicide par la dernière lettre pastorale de monseigneur l’archevêque de Paris. Voyez si ce que je vous dis est vrai, ajouta le marquis de Courtenay. Et, prenant à son tour sa femme par la main, il la conduisit à une des grandes croisées de l’appartement ; il tira les rideaux.

En ce moment les rôles étaient changés ; l’esprit faible, abattu, nébuleux, désorganisé, c’était celui de la marquise.

— Tenez ! dit le marquis en étendant le bras et en désignant la galerie basse où se trouvait la chapelle ; tenez, vous apercevez d’ici, à la lueur des bougies, les tentures noires, le catafalque, et attachés aux piliers les écussons aux armes de mon excellent frère, le commandeur.

Le cœur de la marquise dut devenir blanc à ce spectacle.

Elle était venue pour effacer de son esprit un dernier doute, et son mari lui mettait un catafalque sous les yeux ; son mari, qui n’aurait pas osé, comme elle avait pris soin de le penser elle-même, commettre un sacrilège en faisant célébrer un service funèbre pour un frère qui ne serait pas mort.

— Ah ! oui, il est mort ! dit-elle en appuyant, par un frémissement nerveux, son bras sur celui du marquis qui était resté tendu. Quelle fatale illusion m’étais-je faite !…

— Hélas ! il n’est que trop vrai, murmura le marquis après avoir tiré les rideaux et devenu pour un instant le personnage fort de l’entretien. Vous n’en doutez plus à présent, ajouta-t-il ; et si vous eussiez vu comme moi !…

— Non ! je ne doute plus maintenant, interrompit la mar-