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le dragon rouge.

mais ce n’est pas une raison pour ne pas supposer… pour ne pas imaginer… pour ne pas croire… Tiens ! donne-moi cette lettre ; il y a un quart d’heure que je devrais être partie, s’écria Marine en emportant la lettre et la fin d’une situation horriblement pénible pour elle à soutenir plus longtemps.

— Puisqu’elle veut être trompée… murmura Marine en quittant une seconde fois l’hôtel pour se rendre au couvent de Saint-Maur.

Le reste de sa phrase mourut sur ses lèvres.

C’était la fin du jour ; la marquise de Courtenay descendit à pas lents au salon, où elle trouva son mari très-préoccupé de l’idée folle dont il avait fait part à Marine dans la matinée. Il s’était juché sur le bord d’un fauteuil, regardant furtivement à droite et à gauche, comme si un péril le menaçait. Ses yeux ronds brillaient dans les cavités de sa maigreur ; il était triste et effrayé : c’était véritablement un hibou.

— Fermez bien la porte ! s’écria-t-il dès qu’il vit entrer la marquise. Si quelque chat s’introduisait ici…

— Voilà l’homme avec lequel je serais obligée de passer ma vie si je ne conservais encore l’espoir…

Elle alla vers lui avec l’air de pitié mélancolique qu’il lui inspirait lorsqu’il était dans cet état, et, lui prenant la main comme à un enfant dont on n’obtient rien que par la douceur, elle lui dit pour le rassurer : — Venez, ne craignez rien, monsieur le marquis, nous avons à nous entretenir de choses sérieuses. Asseyez-vous près de moi.

— Je n’ai rien à redouter, du moins…

— Puisque votre excellent frère le commandeur est mort, reprit la marquise, pesant sur chacune de ses paroles pour examiner l’effet produit sur celui dont l’attention lui importait tant, puisque le commandeur est mort, reprit-elle, il nous est imposé l’obligation de faire célébrer demain, dans la chapelle de l’hôtel, un service funèbre pour le repos de son âme. — S’il est faux qu’il soit mort, pensa la marquise, il n’osera pas