Page:Gozlan - Le Dragon rouge, 1859.djvu/281

Cette page a été validée par deux contributeurs.
278
le dragon rouge.

Quand la lettre fut pliée, la marquise appela Marine et lui recommanda, en la lui remettant, d’attendre qu’il fît nuit pour la porter à Saint-Maur.

— Voyons ! lui dit-elle, tandis que sa main retenait encore la lettre par un angle, voyons, Marine, es-tu convaincue que le commandeur n’est pas mort ?

Marine regarda la marquise jusqu’au fond des yeux, afin de s’assurer de l’état moral de celle qui lui adressait cette question.

Le doute n’avait jamais pris une expression aussi déchirante sur la terre. Celle qui avait servi jusqu’ici de mère à la marquise, celle qui était habituée à découvrir les plus fugitives nuances de son âme, fut alarmée de la profonde altération qu’elle remarqua. Marine s’assura que la conviction de la marquise ressemblait à faire peur à la conviction contraire, et que lorsqu’elle se persuadait et voulait persuader aux autres que le commandeur vivait, elle était plus douloureusement affectée que si elle était convenue avec tout le monde qu’il n’était plus.

La marquise ayant répété sa question, Marine lui répondit avec effort, et comme si elle eût eu une feuille de plomb sur la langue :

— Je ne puis plus douter qu’il soit encore en vie, puisque tu parais si convaincue. Tu sais ce que tu sais ; moi, je n’ai soutenu mon dire que d’après ce que j’avais entendu.

— Oui, je sais ce que je sais, appuya la marquise, laissant ainsi pressentir à Marine qu’elle ne tarderait pas à lui confier des choses après la révélation desquelles le doute ne serait plus permis. Et à moins que d’être folle, se reprit-elle, je ne soutiendrais pas comme vrai ce qui, au fond, serait faux.

— Sans doute ! mais sans doute, affirma Marine, d’un ton qu’elle chercha le plus possible à rendre naturel.

— Ma pauvre Marine, tu es de mon avis par complaisance ; tu ne sais pas mentir ; ce que je te dis, je le vois, ne te persuade pas.

— Voyez-vous ces idées-là ! Pourquoi m’accuser ainsi ? Sans doute j’aimerais autant que le commandeur fut là près de nous,