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le dragon rouge.

heureuse, vous viviez… Ce rêve… je vous le raconterai un jour. Tenez ! les cris de Léonore et de Tristan redoublent ; ils me troublent la raison… ils me déchirent l’âme… Je mêle mes cris à leurs cris, mais ils ne m’entendent pas… mais je ne veux pas qu’ils m’entendent… Je leur crie : Ne pleurez plus !… ne pleurez plus ! votre oncle n’est pas mort !… M’ont-ils entendue ?… Leurs sanglots n’arrivent plus jusqu’à moi… ils ne m’ont pas entendue, mais ils prient !… et ne pouvoir rien dire !…

« Je suis heureuse pourtant ; vous vivez, mon ami !.. J’en ai pour preuve… Quelle preuve en ai-je ? mon Dieu !… Si cette preuve allait m’échapper !… Vous vivez, parce que j’ai surpris, comme je vous le disais, de la contradiction dans les réponses de votre frère. Vous vivez, parce que ma lettre, celle que je vous ai écrite la nuit dernière, a été décachetée. Quel autre que vous aurait pu en briser le cachet ?… N’est-ce pas que vous vivez ?… C’est affreux, cependant, d’entendre dire partout autour de soi : Il est mort… il a été tué… il a été tué… il est mort… et de voir du noir de quelque côté que l’on tourne les yeux. Moi-même je suis en deuil… ma robe est noire… j’ai un crêpe noir autour du cou… Véritablement j’ai peur… ce témoignage universel m’épouvante !….

« Je disais donc que vous viviez parce que vous avez fait une tache de sang au bas de ma lettre. Quelle preuve ! Vous ne pouvez donc pas écrire ? Quelle grave blessure avez-vous donc reçue qu’elle vous empêche à ce point d’écrire une ligne, un mot, ce mot que je vous demandais, et que je vous demande encore, mon ami ! Vous êtes blessé ! l’êtes-vous mortellement ? Voilà que Tristan et Léonore reprennent leurs sanglots. Je suis accablée ; j’étouffe ! L’êtes-vous mortellement ? Qui me dira tout ce que je veux savoir ? Si j’interroge encore votre frère, et je l’ai questionné de nouveau, il me répondra, comme il m’a déjà répondu : Mon frère est mort ; il est bien mort. Et vous ne sauriez croire avec quelle