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le dragon rouge.

Marine sortit sans bruit de l’hôtel ; elle s’enfonça courageusement dans les humides ténèbres qui emplissaient les rues de Paris et s’étendaient sur la campagne.


xxviii

Il faut des années pour se faire à Paris un grand nom, soit par l’éclat de la gloire, soit par le mérite de la vertu ; il suffit d’une minute pour le perdre. On dirait que c’est une plaine muette, sans écho, lorsqu’on y laisse tomber une belle action, et une voûte sonore quand on lui confie une faute.

Il n’y avait pas quatre heures que le duel de Raoul de Marescreux avec le marquis et le commandeur de Courtenay avait eu lieu qu’il était déjà l’aliment des conversations de tout Paris : gâteau de miel et d’amandes pour les gourmets de scandale. On s’en occupait à la cour, on en parlait au théâtre. Dans ces deux centres de l’opinion, l’événement prit un caractère singulier. Les interprétations flamboyèrent. Chacun expliquait à sa manière les causes de cette collision commencée par un soufflet, terminée par la mort d’un jeune homme aussi élevé par sa naissance que regrettable à cause de ses nobles qualités personnelles. Même les plus réservés dans leurs suppositions ne se contentaient pas des apparences ; ils n’admettaient pas sans hésitation que l’agresseur n’avait pu écouter qu’une cruelle fantaisie en fondant un duel sur un outrage adressé à une femme qui lui était inconnue. Ils ne savaient pas tout, disaient-ils.

Les autres, les plus nombreux, les plus jeunes, les plus passionnés, et par conséquent les plus bruyants, s’accordaient