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pas moins vrai de dire que ce qu’elle sut le mieux fut, au bout du compte, ce que son père lui avait enseigné, si ce n’est pas absolument ce qu’elle aima d’abord le mieux.

Marine, sa nourrice, fut, comme nous venons de le dire, du voyage en Pologne. C’était la fille d’un pêcheur de Saint-Cloud et d’une meunière de Nanterre. Elle avait alors trente-deux ans environ. Comme toutes les filles de la campagne, elle paraissait son âge. Belle, elle l’était à souhait, et on va juger si l’opinion devait être unanime sur ce point. Marine, la nourrice de Casimire, avait été choisie parmi les plus saines, les plus belles femmes de France pour être la nourrice de Louis XV. Un roi de France avait bu de son lait, ce qui nous semble un titre de noblesse aussi bien fondé qu’un autre. On verra l’orgueil qu’elle avait retenu de cette position à la cour. Elle était brune, souple comme une syrène, et sa tête d’amazone se posait au milieu d’un buste sur lequel le médecin de Molière, celui qui goûtait au lait des nourrices, n’aurait pas voulu perdre ses droits. Un bonnet impertinent, dont la coiffe était petite et la dentelle longue de deux mains, flottait à tous vents sur ses cheveux, à la manière de Ninon en déshabillé. Elle avait causé l’amour et le désespoir de plus d’un courtisan affriandé, mais elle était trop prudente pour gâter sa position. Son mari, dont elle était séparée de corps et de biens, de biens surtout, car il avait mangé plus de trois fois ce qu’il avait apporté en une seule, avait consenti à la quitter, à condition qu’elle se conduirait honnêtement. Au premier bruit sur son compte il reviendrait vivre avec elle. Le cher homme ne pouvait inventer un meilleur moyen de préserver la vertu de sa femme. Cette menace aurait suffi pour la rendre sourde à toutes les faiblesses si Marine eût aimé autre chose au monde que les deux enfants dont elle avait été la nourrice : Louis XV et Casimire de Canilly. Voilà les deux uniques objets de son attachement, et pour lesquels elle eût donné tous les maris de ce monde. On suppose que la cour ne l’avait pas remerciée sans la récom-