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le dragon rouge.

mace de quelqu’un et de lui sauter sur l’épaule, sans cela il ne vivrait pas, il ne serait plus singe. Il est amusant, il est gai, on se l’arrache dans les salons, on se le passe de main en main. Malheureusement ses prospérités finissent toujours par un coup qu’il reçoit à un endroit tout à fait opposé à celui où son maître a reçu le sien.

Voilà la mouche politique. Ses transformations sont curieuses. On ne sait pas trop son origine. Il est venu au monde avec deux ou trois croix d’un ordre mythologique créé par Jupiter après la chute des Titans.

Il a été page, secrétaire au delà du Rhin.

Il s’est poussé par les femmes, par les vieilles surtout.

Il versifie un peu, il joue un peu, il cause un peu.

Avec tous ces peu réunis il s’est fait des ailes, il a été moucheron, première époque.

À trente ans il a changé la direction de son vol. Il allait autrefois dans les boudoirs, plongeait ses pattes dans les parfums ; cet âge venu, il a bourdonné dans les antichambres, et posé sur le bureau des ministres ; il a plongé sa trompe dans l’encre. On l’a vu écrire la correspondance des grands seigneurs, rédiger des mémoires, corriger des discours, relever l’orthographe et la ponctuation de ses protecteurs, être employé dans certaines missions délicates. Cela lui a rapporté une croix de plus, quatre rides de plus et beaucoup de cheveux blancs, car les gris n’existent pas. Il est passé mouche de cour de moucheron qu’il était jadis : seconde transformation.

À soixante ans, connaissant le monde comme les pavés de sa rue, il s’est fait enfin une position ambiguë. Il a acquis à un degré supérieur toutes les qualités secondaires de l’homme de cour. Il a la science du passé, la discrétion d’un geôlier, l’ambition rentrée d’un personnage déchu ; il sert avec fidélité des protecteurs qu’il déteste. On le reçoit parce qu’il s’impose ; il fait autorité parce qu’il a lavé le linge sale de l’histoire pendant quarante ans. On le laisse parler parce qu’il raconte avec