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le dragon rouge.

Voilà le bœuf politique ; ce qu’on appelle un travailleur dans les ministères. En général il est sale, négligé, distrait, crotté de tabac jusqu’au menton. Il se lève avant le jour, pour ruminer plus longtemps, et se couche avec le soleil. Heureusement que pour sa femme il n’est pas le soleil.

Voilà le renard politique. Voyez son museau, qu’il est fin ! Voyez ses membres, comme ils sont souples ! Voyez ses mains, comme elles sont griffes. Quel beau type nous offre celui que nous avons sous les yeux ! Avant d’être nommé gouverneur de la province d’Aunis il passait pour le plus joyeux, pour le plus pantagruélique compagnon de Paris. Comme il mangeait ! comme il buvait ! Il buvait tout : le vin, la bouteille, le tonneau, le tavernier, et il rendait tout cela en monnaie de singe, c’est-à-dire en payant de sa folle gaieté et de son esprit grimacier ce que les autres payaient avec de l’or. Il joua, en employant l’ivresse, le rôle de Brutus à Rome, et de Lorenzino à Florence, qui prirent, comme on sait, l’un le masque de l’imbécillité, l’autre celui de la folie. Il était si aimable qu’on pouvait sans conséquence le nommer d’abord petit receveur des tailles, plus tard collecteur général, et enfin gouverneur, grades successifs auxquels il est arrivé en dansant sur les mains comme Paillasse. Mais une fois gouverneur, il est retombé sur ses pieds, et le renard est devenu grave. Il a pris une femme très-riche ; il reçoit à deux battants, et le prodigue, de l’argent des autres est devenu ladre, fesse-mathieu. Qu’on le juge d’un trait entre mille. Pauvre, il allait, après ses orgies, jeter, dans le jardin d’un de ses vieux parents, les goulots de toutes les bouteilles de vin qu’il avait bues, afin de voir si un jour ces goulots n’auraient pas fait germer des bouteilles. Qu’a-t-il fait de ce jardin depuis qu’il en a hérité ? Il y a semé des panais et des salades. Il fait des essais agronomiques sur les carottes. Que tu étais bien plus spirituel quand tu semais des goulots ! Tu récoltais au moins de l’esprit, et elle en est si rare la graine !

Voilà le singe politique. Il a toujours besoin d’imiter la gri-